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Après les écoles littéraires qui ont voulu nous donner une vision déformée, surhumaine, poétique, attendrissante,
charmante ou superbe de la vie, est venue une école réaliste ou naturaliste qui a prétendu nous montrer la vérité,
rien que la vérité et toute la vérité.
Il faut admettre avec un égal intérêt ces théories d'art si différentes et juger les oeuvres qu'elles produisent
uniquement au point de vue de leur valeur artistique en acceptant a priori les idées générales d'où elles sont nées.
Contester le droit d'un écrivain de faire une oeuvre poétique ou une oeuvre réaliste, c'est vouloir le forcer à
modifier son tempérament, récuser son originalité, ne pas lui permettre de se servir de l'oeil et de l'intelligence
que la nature lui a donnés.
10 Lui reprocher de voir les choses belles ou laides, petites ou épiques, gracieuses ou sinistres, c'est lui reprocher
d'être conformé de telle ou telle façon et de ne pas avoir une vision concordant avec la nôtre.
Laissons-le libre de comprendre, d'observer, de concevoir comme il lui plaira, pourvu qu'il soit un artiste.
Devenons poétiquement exaltés pour juger un idéaliste et prouvons-lui que son rêve est médiocre, banal, pas
assez fou ou magnifique. Mais si nous jugeons un naturaliste, montrons-lui en quoi la vérité dans la vie diffère
de la vérité dans son livre.
16 Il est évident que des écoles si différentes ont dû employer des procédés de composition absolument opposés.
Le romancier qui transforme la vérité constante, brutale et déplaisante, pour en tirer une aventure exceptionnelle
et séduisante, doit, sans souci exagéré de la vraisemblance, manipuler les événements à son gré; les préparer et
les arranger pour plaire au lecteur, l'émouvoir ou l'attendrir. Le plan de son roman n'est qu'une série de
combinaisons ingénieuses conduisant avec adresse au dénouement. Les incidents sont disposés et gradués vers le
point culminant et l'effet de la fin, qui est un événement capital et décisif, satisfaisant toutes les curiosités
éveillées au début, mettant une barrière à l'intérêt, et terminant si complètement l'histoire racontée qu'on ne
désire plus savoir ce que deviendront, le lendemain, les personnages les plus attachants.
24 Le romancier, au contraire, qui prétend nous donner une image exacte de la vie, doit éviter avec soin tout
enchaînement d'événements qui paraîtrait exceptionnel. Son but n'est point de nous raconter une histoire, de
nous amuser ou de nous attendrir, mais de nous forcer à penser, à comprendre le sens profond et caché des
événements. A force d'avoir vu et médité il regarde l'univers, les choses, les faits et les hommes d'une certaine
façon qui lui est propre et qui résulte de l'ensemble de ses observations réfléchies. C'est cette vision personnelle
du monde qu'il cherche à nous communiquer en la reproduisant dans un livre. Pour nous émouvoir, comme il l'a
été lui-même par le spectacle de la vie, il doit la reproduire devant nos yeux avec une scrupuleuse ressemblance.
Il devra donc composer son oeuvre d'une manière si adroite, si dissimulée, et d'apparence si simple, qu'il soit
impossible d'en apercevoir et d'en indiquer le plan, de découvrir ses intentions.
33 Au lieu de machiner une aventure et de la dérouler de façon à la rendre intéressante, jusqu'au dénouement, il
prendra son ou ses personnages à une certaine période de leur existence et les conduira, par des transitions
naturelles, jusqu'à la période suivante. Il montrera de cette façon, tantôt comment les esprits se modifient sous
l'influence des circonstances environnantes, tantôt comment se développent les sentiments et les passions,
comment on s'aime, comment on se hait, comment on se combat dans tous les milieux sociaux, comment luttent
les intérêts bourgeois, les intérêts d'argent, les intérêts de famille, les intérêts politiques.
39 L'habileté de son plan ne consistera donc point dans l'émotion ou dans le charme, dans un début attachant ou
dans une catastrophe émouvante, mais dans le groupement adroit de petits faits constants d'où se dégagera le
sens définitif de l'oeuvre. S'il fait tenir dans trois cents pages dix ans d'une vie pour montrer quelle a été, au
milieu de tous les êtres qui l'ont entourée, sa signification particulière et bien caractéristique, il devra savoir
éliminer, parmi les menus événements innombrables et quotidiens, tous ceux qui lui sont inutiles, et mettre en
lumière, d'une façon spéciale, tous ceux qui seraient demeurés inaperçus pour des observateurs peu clairvoyants
et qui donnent au livre sa portée, sa valeur d'ensemble.46 On comprend qu'une semblable manière de composer, si différente de l'ancien procédé visible à tous les yeux;
déroute souvent les critiques, et qu'ils ne découvrent pas tous les fils si minces, si secrets, presque invisibles,
employés par certains artistes modernes à la place de la ficelle unique qui avait nom : l'Intrigue.
En somme, si le Romancier d'hier choisissait et racontait les crises de la vie, les états aigus de l'âme et du coeur,
le Romancier d'aujourd'hui écrit l'histoire du coeur, de l'âme et de l'intelligence à l'état normal. Pour produire
l'effet qu'il poursuit, c'est-à-dire l'émotion de la simple réalité et pour dégager l'enseignement artistique qu'il en
veut tirer, c'est-à-dire la révélation de ce qu'est véritablement l'homme contemporain devant ses yeux, il devra
n'employer que des faits d'une vérité irrécusable et constante.
53 Mais en se plaçant au point de vue même de ces artistes réalistes, on doit discuter et contester leur théorie qui
semble pouvoir être résumée par ces mots : « Rien que la vérité et toute la vérité.»
Leur intention étant de dégager la philosophie de certains faits constants et courants, ils devront souvent corriger
les événements au profit de la vraisemblance et au détriment de la vérité, car le vrai peut quelquefois n'être pas
vraisemblable.
Le réaliste, s'il est un artiste, cherchera, non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en
donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même.
Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par journée, pour énumérer les
multitudes d'incidents insignifiants qui emplissent notre existence.
62 Un choix s'impose donc, - ce qui est une première atteinte à la théorie de toute la vérité.
La vie, en outre, est composée des choses les plus différentes, les plus imprévues, les plus contraires, les plus
disparates; elle est brutale, sans suite, sans chaîne, pleine de catastrophes inexplicables, illogiques et
contradictoires qui doivent être classées au chapitre faits divers.
Voilà pourquoi l'artiste, ayant choisi son thème, ne prendra dans cette vie encombrée de hasards et de futilités
que les détails caractéristiques utiles à son sujet, et il rejettera tout le reste, tout l'à-côté.
Un exemple entre mille : le nombre des gens qui meurent chaque jour par accident est considérable sur la terre.
Mais pouvons-nous faire tomber une tuile sur la tête d'un personnage principal, ou le jeter sous les roues d'une
voiture, au milieu d'un récit, sous prétexte qu'il faut faire la part de l'accident?
71 La vie encore laisse tout au même plan, précipite les faits ou les traîne indéfiniment. L'art, au contraire, consiste
à user de précautions et de préparations, à ménager des transitions savantes et dissimulées; à mettre en pleine
lumière, par la seule adresse de la composition, les événements essentiels et à donner à tous les autres le degré
de relief qui leur convient, suivant leur importance, pour produire la sensation profonde de la vérité spéciale
qu'on veut montrer.
Faire vrai consiste donc à donner l'illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les
transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession.
J'en conclus que les Réalistes de talent devraient s'appeler plutôt des Illusionnistes.
79 Quel enfantillage, d'ailleurs, de croire à la réalité puisque nous portons chacun la nôtre dans notre pensée et dans
nos organes. Nos yeux, nos oreilles, notre odorat, notre goût différents créent autant de vérités qu'il y a
d'hommes sur la terre. Et nos esprits qui reçoivent les instructions de ces organes, diversement impressionnés,
comprennent, analysent et jugent comme si chacun de nous appartenait à une autre race.
Chacun de nous se fait donc simplement une illusion du monde, illusion poétique, sentimentale, joyeuse,
mélancolique, sale ou lugubre suivant sa nature. Et l'écrivain n'a d'autre mission que de reproduire fidèlement
cette illusion avec tous les procédés d'art qu'il a appris et dont il peut disposer.
86 Illusion du beau qui est une convention humaine! Illusion du laid qui est une opinion changeante! Illusion du
vrai jamais immuable! Illusion de l'ignoble qui attire tant d'êtres! Les grands artistes sont ceux qui imposent à
l'humanité leur illusion particulière.
Ne nous fâchons donc contre aucune théorie puisque chacune d'elles est simplement l'expression généralisée
d'un tempérament qui s'analyse.


Guy de MAUPASSANT, préface de Pierre et Jean (1887)

Questions sur l’ensemble du texte

Quel est le but poursuivi par Maupassant dans ce texte ?



Maupassant évoque deux écoles littéraires distinctes. Résumez en une phrase (sans reprendre les mots du texte) quelle conception de l’oeuvre littéraire défend chacune de ces écoles.

1/- École poétique:

 

2/- École réaliste:

Première partie du texte (lignes 1 à 15)

Selon Maupassant,
a) ...le critique doit-il refuser de juger une oeuvre qui cherche à illustrer une théorie particulière ?



b) ... quelle doit être l’attitude du critique devant une oeuvre littéraire ?



c) …qu’est-ce qui doit guider un écrivain dans le choix de faire une oeuvre soit poétique, soit réaliste ?



Quels adjectifs synonymes Maupassant utilise-t-il pour désigner les écoles ou les auteurs «poétiques » et « réalistes » ?

• Synonyme de « poétique » : 
• Synonyme de « réaliste » :

Deuxième partie du texte (lignes 16 à 52)

Dans quelle mesure peut-on dire que l’oeuvre d’un romancier « réaliste » a une valeur sociologique ?

Le romancier réaliste reproduit la réalité telle quelle est, sans
apporter le moindre changement.



Les procédés utilisés par le romancier réaliste sont plus
complexes et plus discrets que ceux des romanciers
précédents.



Dans un roman réaliste, l’action dure en moyenne dix ans.



Troisième partie du texte (lignes 53 à 90)

Quelle est l’idée essentielle exposée dans cette troisième partie ?
Les oeuvres romanesques sont toujours inférieures à la réalité.
Les vraies oeuvres romanesques sont supérieures à toute forme de théorie.
Les romans réalistes ne sont qu’une illusion sans véritable avenir.



Expliquez la distinction que fait Maupassant entre le « vrai » et le « vraisemblable ».

Quel doit être l’objectif essentiel d’un véritable romancier réaliste ?

D’un point de vue technique, quelles sont les trois raisons qui font que le roman réaliste ne peut pas être une simple « photographie » de la vie réelle ?

1/-

2/-

3/-

Selon Maupassant, « … Les réalistes de talent devraient plutôt s’appeler des Illusionnistes » (l. 78). Cela
signifie que :