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La mort de la conscience

À quel moment cesse-t-on de survivre et commence-t-on à succomber ? La ligne de démarcation n’est pas la mort telle que nous la connaissons. Elle est marquée par ce que nous pourrions appeler la mort de la conscience de l’individu.

La meilleure arme de l’Homme est sa raison. N’ayant pas les dents, la peau cuirassée, les griffes de tant d’autres formes vivantes, l’Homme a compté sur son aptitude à raisonner pour s’aider à survivre.

Le choix de l’aptitude à penser en tant qu’arme principale est un choix heureux. Il a valu à l’Homme le royaume de la Terre. La raison est une arme excellente. Avec ses dents, sa peau cuirassée, ses longues griffes, l’animal est pourvu d’armes qu’il ne peut pas modifier. Il ne peut s’adapter à un environnement qui change. Et c’est terriblement important, pour survivre, d’évoluer si l’environnement change. Chaque espèce disparue s’est éteinte parce qu’elle n’a pas su évoluer pour contrôler un environnement nouveau. La raison remédie à cet échec d’une façon remarquable. Car l’Homme peut inventer de nouveaux outils, de nouvelles armes et un environnement entièrement nouveau. La raison lui permet de changer pour s’ajuster à de nouvelles situations. La raison lui permet de garder le contrôle de milieux nouveaux.

Tout animal qui se contente de s’adapter au milieu est perdu. Le milieu change rapidement. Les animaux qui peuvent contrôler et modifier le milieu ont la meilleure chance de survie.

Le seul moyen d’organiser un état collectiviste est de convaincre les hommes qu’ils doivent s’adapter, s’ajuster, comme des animaux, à un environnement immuable. L’individu doit être privé de son droit à contrôler son milieu. On peut alors l’enrégimenter et le parquer en groupes. Il cesse d’être propriétaire et devient propriété. La raison et le droit de raisonner doivent leur être retirés, car le centre même de la raison est le droit de se faire sa propre opinion sur son environnement.

L’Homme se bat contre les éléments et contre les autres hommes. Les ennemis de l’Homme cherchent à attaquer son droit et son aptitude à raisonner. Les forces brutes et désordonnées des éléments, les orages, le froid et la nuit combattent, défient et écrasent parfois la raison, tout comme le corps.

Mais de même que l’inconscience précède toujours la mort, la mort de la raison précède la mort de l’organisme. Et ce processus peut se prolonger sur une durée assez longue. La moitié d’une vie, voire plus.

Avez-vous observé la grande vigilance d’un jeune homme affrontant les forces qui combattent la vie ? Et observé un homme âgé dans la même situation ? Vous découvrirez que ce qui s’est détérioré, c’est l’aptitude à raisonner. Il a conquis de l’expérience au prix de durs efforts et, dès le milieu de sa vie, il désire s’en servir pour poursuivre son chemin. C’est un truisme de dire que la jeunesse pense vite avec peu d’expérience. Et que l’âge pense lentement avec beaucoup d’expérience. La raison de la jeunesse est très loin d’être toujours juste, car la jeunesse tente de raisonner sans données adéquates.

Supposez qu’un homme ait conservé toutes ses aptitudes à raisonner tout en ayant beaucoup d’expérience. Supposez que nos tempes grisonnantes puissent penser avec tout l’enthousiasme et la vitalité de la jeunesse tout en ayant conservé leur expérience. La vieillesse dit à la jeunesse : « Vous n’avez pas d’expérience ! » La jeunesse dit à la vieillesse : « Vous n’avez aucune imagination. Vous n’acceptez pas les nouvelles idées, vous ne les examinez même pas ! » Évidemment, la combinaison idéale pour chacun serait d’avoir l’expérience de l’une et la vitalité et l’imagination de l’autre.

Peut-être vous êtes-vous déjà dit : « Avec toute mon expérience présente, que ne donnerais-je pas pour un peu de mon enthousiasme d’autrefois ! » Ou peut-être vous êtes-vous excusé en disant que vous aviez perdu vos illusions. Vous n’êtes même plus certain d’en avoir eu un jour. L’éclat de la vie, les enthousiasmes prompts, le désir et la volonté de vivre, la croyance dans la destinée, ces choses sont-elles des illusions ? Ou sont-elles des symptômes de la substance même dont est constituée la vie ? Et leur déclin n’est-il pas un symptôme de mort ?

La connaissance ne détruit pas la volonté de vivre. La souffrance et la perte de l’autodétermination détruisent cette volonté. La vie peut être douloureuse. C’est souvent douloureux d’acquérir de l’expérience. Pourtant il est vital de conserver cette expérience. Mais faut-il vraiment souffrir pour acquérir de l’expérience ?

Supposons qu’il soit possible d’enlever de votre vie toute la souffrance, physique ou autre, que vous avez accumulée. Serait-il si terrible de se débarrasser d’un grand chagrin, d’une maladie psychosomatique, de peurs, d’inquiétudes ou de terreurs ?

Supposons qu’un homme, profitant du savoir qu’il a acquis, puisse à nouveau affronter la vie et l’univers et dire qu’il peut les dompter. Vous rappelez-vous ce jour de votre enfance où, à votre réveil, vous trouviez des gouttes de rosée étincelant sur l’herbe, des feuilles, un soleil d’or éclairant un monde heureux ? Vous rappelez-vous combien c’était merveilleux et beau ce jour-là ? Et le premier baiser tendre ? La chaleur d’une véritable amitié ? L’intimité d’une promenade au clair de lune ? Pourquoi le monde a-t-il perdu son éclat ?

La conscience que l’on a du monde peut varier. On peut être plus conscient de la couleur, de l’éclat et de la joie à un moment de la vie qu’à un autre. On sent plus facilement la réalité éclatante des choses dans la jeunesse que dans la vieillesse. N’est-ce pas là quelque chose qui s’apparente à un déclin de la conscience ?

Qu’est-ce qui nous a rendu moins conscients de l’éclat du monde qui nous entoure ? Le monde a-t-il changé ? Non, car chaque nouvelle génération voit l’enchantement, l’éclat et l’intensité de la vie – cette même vie que la vieillesse, dans le meilleur des cas, voit sous un jour terne. L’individu change. Qu’est-ce qui le fait changer ? Est-ce la dégénérescence de ses glandes et de ses articulations ? Pas vraiment, car tous les travaux qui ont été faits sur les glandes et les articulations – l’organisme – n’ont jamais redonné à la vie son éclat originel.

Ah, Jeunesse ! soupire l’adulte, si seulement je retrouvais ton parfum et ta saveur ! Qu’est-ce qui a atténué ce parfum et cette saveur ?

Plus notre perception de la vie s’émousse, plus notre perception de nous-mêmes s’affaiblit. Autrement dit, à mesure que les perceptions diminuent, la conscience diminue. Percevoir le monde alentour et tirer de cette observation des conclusions exactes, est en fait la même chose.

Les lunettes, par exemple, sont un symptôme du déclin de la conscience. On a besoin d’une « prothèse » pour voir, afin que le monde apparaisse plus clair. Ne plus pouvoir courir comme on le faisait enfant est aussi un déclin de la conscience et des capacités.

L’inconscience totale est la mort. Quand on est à demi-inconscient, on est à demi-mort. Quand on est un quart inconscient, on est un quart mort. Et tandis qu’on accumule les souffrances inhérentes à la vie sans en accumuler les plaisirs, on est peu à peu rattrapé par les ténèbres. Et il s’ensuit, enfin, l’incapacité physique de voir, de penser et d’être connu, comme la mort.

Comment accumule-t-on toute cette souffrance ? Et si on en débarrassait quelqu’un, retrouverait-il sa pleine conscience et une vision parfaite de la vie ? Est-il possible de l’en débarrasser ?